Notule des derniers titres goncourables 2021 par Pierre B.

Milwaukee Blues, Louis-Philippe Dalembert
Portrait de groupe avec drame

D’emblée, l’auteur expose sa couleur : dénonciation du racisme, citant d’emblée ces meurtres commis par des policiers, l’un des plus récents étant celui de Georges Floyd. En première approche sa démonstration convenue peut dérouter, il convient de dépasser le cap des premiers chapitres. Roman choral par excellence, Dalembert, à son habitude, propose une approche sensible au dessein pointilliste d’une société hors classe..

Dans la peinture de ce portrait apparaissent l'institutrice, l'amie d'enfance, un dealer et puis d’autres encore. Chacun se racontera décrivant l'enfance, le trop plein des espoirs déçus et des rêves avortés en ce quartier défavorisé. Les acteurs se contredisent, certains s’exprimant avec pudeur d’autres sur un mode truculent, c’est la règle du genre, l’auteur ne s’épargne ni humour, ni sens du dérisoire. L’écriture est simplement lumineuse. C’est aussi sa marque de fabrique.
Le point d’orgue sera donné par Ma Robinson, évangéliste de choc et gardienne de prison, qui clamera son sens de la révolte pour La cause. L’auteur rend alors hommage, entres autres révoltés, à Frantz Fanon qui fut mieux qu’un psychiatre.
A. Warhol promis à chacun d’avoir son quart d’heure de gloire. Faut il mourir étouffé ou criblé de balles policières pour y accéder ?

Pierre B.

INCIPIT

NINE-ONE-ONE
Jᴇ ɴ’ᴀᴜʀᴀɪꜱ ᴊᴀᴍᴀɪꜱ ᴅÛ composer ce foutu numéro. Si je pouvais, je supprimerais définitivement le 9 et le 1 du
cadran de mon smartphone. Comme un cyclone, ou une inondation, raye du jour au lendemain un village entier de
la carte du monde. J’aurais une application spéciale avec un clavier sans ces chiffres. Je suis prêt à la payer un bras, s’il le faut. Cela dit, si c’était possible, ça le serait partout ailleurs, sauf ici. Pour les résidents de ce pays, le « nine-one-one » est une référence incontournable. Un peu à l’image de notre supérette pour les habitants de ce bout de Franklin Heights.
Le prolongement naturel des doigts, au moindre pet de travers : une prise de bec entre conjoints, un gosse qui en a
marre de ses parents, un passant inconnu qui marche tête baissée ou rase trop les murs, un clochard qui confond une bouche d’incendie avec une pissotière, le type bodybuildé qui a oublié de ramasser la crotte de son caniche... sans évoquer des problèmes beaucoup plus graves, genre le mec bourré ou « cracké » qui tabasse sa gonzesse – parfois, c’est l’inverse, mais c’est plus rare –, avant qu’elle ne se mette à crier sa peine aux oreilles des voisins ; ou le prédateur pervers qui course un enfant en plein jour... Toutes ces choses dont on cause à longueur de journée à la télé ou sur le Net. Qui te forcent à espionner tes gosses, à fouiller dans (...)