Camille de Toledo, Thésée sa vie nouvelle, éditions Verdier 2020

Publié le par P.P

Camille de Toledo, Thésée sa vie nouvelle, éditions Verdier 2020

Un poème liminaire, qui sonne comme un chant funèbre antique,impose d'emblée un rythme de lecture. Cette lecture sera tantôt lente, tantôt plus rapide, en tout cas, une découverte émotionnelle mais aussi visuelle.

Il pose l'histoire , avant de conduire le lecteur au premier chapitre,"premier mars deux mille cinq, Paris", ne laissant aucun doute quant à la teneur du  livre.

Le lecteur sait qu'il va plonger dans le drame d'une vie, celle de Camille de Toledo, mais également dans les hantises du siècle dernier.

Thésée,personnage mythique qui l'inscrit dans une tradition archétypale, ce double de Toledo et narrateur, pose d'emblée cette question: 

   

toi, mon frère, dis-moi.... [...]   

qui commet le meurtre de celui qui se tue?     

car avec cette question s'ouvre le récit archaïque qui coupe entre les âges et ricoche de vie en vie, du passé vers l'avenir                                         

 

Au mot "avenir", la première phrase du récit  entre de plain pied dans l’inacceptable:

" un père dénoue seul la corde à laquelle son fils s'est pendu, [...]

maintenant tout tombe et la vie est maudite      "

 

Pour faire bref, notre narrateur Thésée fuit Paris pour Berlin avec ses deux enfants après une série de drames familiaux rapprochés: le suicide du frère, la mort de la mère puis le cancer du père ... Décidé de rompre avec son passé, à changer de langue et de pays, il rejoint le Berlin du XXIème siècle,symbole de résilience, où l'on croit que l'on peut s'affranchir des souffrances du passé.

Oui, c'est certain, voici LE livre sur lequel tout le monde va se précipiter en plein confinement de novembre!

Les thèmes abordés

  • le suicide, et ses deux manières de l'appréhender. D'un côté Durkheim et les suicidologues, de l'autre,Camus et les existentialistes qui mettent en avant la part de libre arbitre, de volonté de chacun
  • la mémoire transgénérationnelle
  • le corps mémoire ou l'autopoïèse

Et pourtant... je vous invite à feuilleter, à défaut de le lire,cet ouvrage peu commun dans le paysage actuel du roman!

 

La fragmentation du récit:

Multiple a été la production de récits de soi,d'autofictions brutales où la souffrance est livrée sans filtre. Rien de tout cela dans cet ouvrage. la composition du récit inscrit le drame dans une autre dimension,celle qu'exige la littérature. Grâce à son double Thésée, Camille de Toledo peut distiller, transformer la matière de sa douleur en remontant les fils du labyrinthe.

Dans un article paru,(pardonnez-moi mais j'ai omis de noter la référence) après son livre le livre des morts,Toledo explique la démarche de son prochain livre, Thésée:

"Se poser face aux images. Les étaler devant soi comme si elles étaient les pièces d’un puzzle. Se tenir là, devant les photographies laissées par les morts pour comprendre, essayer de comprendre, le fil d’une vie. Écrire comme écrivent les monteurs, ceux auxquels les réalisateurs, parfois, confient leur récit, lorsqu’ils n’y parviennent plus, lorsqu’ils sont perdus dans le labyrinthe des rushs du tournage. Etre romancier comme l’est un monteur, pour tisser une histoire à partir de fragments du réel, de tous ces fragments d’images. Voilà en quoi consiste ce travail dont la plus grande violence tient à cette mise à distance d’un matériel que je qualifie parfois de « radioactif », tant il est vif, brûlant à mes yeux. Car celui qui reste, celui qui a la charge du montage, pour tisser un récit des vies et des morts, celui-là est dans les images, il fait partie de ces ombres. Il est à l’intérieur de ce qu’il observe. Comment, à partir de là, ne pas être absorbé par cette matière ? Comment la tenir suffisamment loin de soi pour qu’elle ne soit pas seulement autobiographique ? C’est ici que j’en reviens à cette matrice des images, afin que ce roman des morts soit aussi un récit qui nous engage, collectivement, dans la façon que nous avons de peupler nos vies d’images, d’archiver nos vies."

 

L''écriture de Thésée permet à l'auteur de partager son questionnement sur les rapports qu'entretiennent texte, mémoire et photographie.

Notons que le livre ne comporte AUCUN POINT de ponctuation, aucune majuscule. Cependant,le lecteur n'est pas acculé par un flot de paroles ininterrompu et trouve vite sa respiration grâce à la fragmentation que constitue l'insertion de lettres manuscrites, de photos, de poèmes qui ne sont pas comme dans la tradition littéraire une illustration du récit, mais bien un élément de langage à part entière.

Visuellement et typographiquement repérable, le fragment est ostensiblement visible avec ses 2 spécificités formelles: la brièveté et le blanc.En rompant le fil du récit, la fragmentation rompt le fil du récit obligeant le lecteur à un temps de pose.

 

Claude Simon, Le jardin des plantes, éditions de minuit, 1997,p.62-63

 

 

 

La technique n'est pas nouvelle, on la trouve dans les Papiers collés de Georges Perros, chez Claude Simon,Peter Handke,Roland Barthes ou Pascal Quignard:

Dans Une gêne technique à l’égard des fragments, Pascal Quignard emploie des termes forts pour qualifier ce silence de l’œuvre, qui renvoie au silence de la lecture : l’écrivain est qualifié de « phonoclaste », c’est-à-dire celui qui brise la voix, et le texte, de « phonocauste », sacrifiant la voix dans cet étouffoir qu’est la page.

"L’iconoclaste est celui qui brise les images, les représentations divines. Le phonoclaste est l’écrivain ; c’est celui qui brise la voix et le cercle oral […]. Il faudrait dire logoclaste pour noter l’écrivain qui brise la voix qu’il a déjà amuïe en écrivant sous le coup de la préméditation préalable d’un livre.."

 

Le Labyrinthe

La  mise à distanciation de la souffrance de l'auteur et de son double Thésée se renforce avec la présence d'un narrateur omniscient, une sorte de supra-conscience ou d'oracle, de prédicateur à la manière du choeur des tragédies antiques.

Thésée refuse, en bon moderne, d'ouvrir sa boite de Pandore, cette boite de carton qui renferme ses souvenirs familiaux.

 

En partance pour Berlin, il pense que ce déracinement géographique et idiomique va être sa planche de salut pour s'arracher à ses morts.

Le labyrinthe représente une sorte d'arbre généalogique, où l'on va chercher les différentes blessures et fragilités, les différents traumas. C'est ce qu'étudient certaines branches de la psychogénéalogie. L'homme reste attaché à des systèmes de liens qui relient à des personnes des pays, des langues...

Thésée est l'histoire d'une chute, de ces fils coupés de l'effondrement,et

de cette tentative de retrouver des liens avec le passé, les spectres, les voix du frère, du père, des aïeux.

    " nous ne sommes pas des corps isolés

            ni des consciences séparées

      la matière porte une mémoire, une intelligence plus vastes

            qui nous relient

      nous sommes un flux continu d'apparitions et de disparitions

            traversé de mille désastres"  p.94

 

Nous sommes loin des littératures qui pensent que nous ne sommes que des individualistes, des êtres de solitudes, comme dans Les particules élémentaires de Houellebecq par exemple.

Thésée n'est pas assez "moderne" pour croire à la solitude des êtres et à l'absurdité de la vie, à "un champ entièrement vide du sacré".

 

La mémoire du corps ou autopoïèse

Thésée ne croit pas à la science, après avoir assisté son père atteint d'un cancer. Mais son corps s'effondre, il a perdu 85% de ses capacités motrices.

Thésée accepte une thérapie proposée par son ami médecin Anselme, qui l'invite à un voyage dans le temps, qui, par les forces de l'esprit peut reprogrammer son eau et donc, sa vie; ce qui signifie pour Thésée sortir du labyrinthe.

"comment nos corps enregistrent les coups de feu

les assauts des guerres, les peurs, les épidémies?

et la roche n'a-t-elle pas enregistré

les plissements et les effondrements survenus

dans les temps reculés?

 

pourquoi notre matière humaine

composée d'eau et de toutes les molécules

qui se sont formées ici, dans ce monde,

serait-elle si différente?"    (p.195)

 

Initiée en France à la fin des années 80, par le chercheur à l'INSERM, Jacques Benveniste et la mémoire de l'eau,(https://www.ina.fr/contenus-editoriaux/articles-editoriaux/1988-jacques-benveniste-et-la-memoire-de-l-eau/) la théorie  se précise grâce aux développement des techniques en neuroscience, en biologie cellulaire, en cancérologie, en musicologie neuronale, en diététique... Actuellement, les expériences menées par le chercheur japonnais Masaru Emoto font référence, et démontrent, entre autres, que la structure moléculaire de l'eau change avec la puissance de l'intention ou à l'exposition de différents sons. Ce que montre De Toledo en insérant dans son récit deux photos illustrant une molécule soumise au son de l'univers "AOUM" et une autre où l'on diffuse du hard rock: les deux molécules sont totalement différentes.

Afin d'avoir une idée plus précise de ces travaux, vous pourrez trouver de nombreux reportages ou extraits comme ceux proposés ci-dessous

Cristaux d'eau, mémoire de l'eau

 

 

Camille de Toledo s'inscrit dans une démarche transgénérationnelle réévaluée par les découvertes de l'épigénétique, ce qui donne au livre une dimension élargie de l'homme en lien avec la Terre, l'Univers tout entier alors que le monde occidental moderne s'en est depuis longtemps éloigné.Ce long poème, certes un peu exigent, d' une minutieuse introspection, balaie l’histoire du XXe siècle et nous invite à une réflexion profonde sur le destin de l’humanité.

 

 

Une bande son pour ce livre?

Peut-être Für Alina, Avro Pärt...https://youtu.be/TzIZPZN5K60 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article