Nature Humaine, Serge Joncour, Flammarion 2020

Publié le par P.P

Nature Humaine, Serge Joncour, Flammarion 2020
 
Nature humaine, de Serge Joncour, est le roman des confrontations : celles de l'Homme avec la nature, de l'homme contre la nature, des hommes entre eux, et avant tout celle du local et du mondial à travers les défis d'une génération que de grands bouleversements (politiques, géopolitiques, écologiques, culturels...) vont transformer à jamais.
Nature Humaine, Serge Joncour, Flammarion 2020

En s’inspirant de son enfance en milieu rural, Serge Joncour nous propose ici l’un de ses meilleurs romans.

L'action se situe dans le lot, à la ferme centenaire des Fabrier où l'on élève des bovins. Berceau de cette famille ,"la matrice", est le cadre qu'a choisi l'auteur pour nous proposer une rétrospective sociétale aboutie, lucide, et émouvante  de la canicule été 1976 à la tempête de décembre 1999.

Alexandre, le personnage principal,le fils "celui qui reste"(alors que ses deux soeurs quittent ou désertent peu à peu le domaine familial) dont on va suivre la trajectoire sur trente ans. Il incarne au mieux une génération charnière entre deux mondes, l’ancien, protecteur et rassurant, et le nouveau, menaçant et instable. Il sonde à travers les conflits de générations, la rudesse de la vie agricole.

Son attachement viscéral à son domaine, dont il connaît, admire et aime les moindres recoins, lui donne sa force de caractère et l’oriente vers des choix exigeants, courageux, déterminés. Entre Toulouse, où Alexandre rejoint la jeunesse estudiantine ou le Lot,on le suit lors un périple en Aveyron où les Causses font figure de maquis pour des rebelles repentis (ou pas),des écoterroristes aux allures hippies qui firent leurs classes au Larzac.

 

Ce récit rétrospectif nous plonge dans les années Giscard, Mitterrand, Chirac, marquées par le progrès, qui transforme le monde agricole.

L 'accent est mis sur l'évolution des campagnes, désertées par les plus jeunes, soulignant les drames subis par un désenclavement inévitable avec notamment l'arrivée du téléphone fixe et la construction des autoroutes qui transforment tout le monde paysan ... Puis, l'inévitable extension du réseau téléphonique ou les courses à Mammouth où l'on se sait plus d'où vient une viande conditionnée en barquette, et plus profondément, la mondialisation des échanges, la construction des centrales nucléaires, le monde du mur de Berlin et celui qui émerge de sa chute.

Le souvenir de l’été 1976 et de l’impôt sécheresse

Ainsi Joncour dresse le portrait changeant du monde rural: la désertification des campagnes, la mort des exploitations, la métamorphose du paysan en exploitant agricole et toutes les contraintes qui viennent tuer le sentiment de liberté et de quiétude.
On voit peu à peu s'étioler la sagesse ancestrale, le bon sens paysan rudement mis à mal .

L'auteur évoque avec cette humanité, cet amour qu'il a pour ses personnages, ce qu'ont été les années 80, événements bons et mauvais, heureux et tragiques qui les ont jalonnés.

L'édification d'une société mondialisée doit-elle se faire au détriment des « petits », d'une certaine authenticité et de celles et ceux qui combattent fusil ou explosifs à la main pour survivre et se défendre ? Défendre ce qui leur est essentiel ? Ce qui les constitue ? Pour certains c’est l’enracinement, pour d’autres ce sont des ailleurs qui s’offrent avec l’abaissement des frontières.

En effet, je referme Nature Humaine à regret avec le sentiment d'avoir fait un beau voyage dans le temps en partageant la vie d'une famille de paysans lotois, attachante et sympathique .

La solitude et l’enracinement d’Alexandre envers et contre tout nous valent des pages magnifiques, dans lesquelles il décrit sa terre, son odeur, ses couleurs, sa poésie sensuelle.

Son choix de rester au pays, garant des traditions familiales le fait passé pour "un ringard rétrograde" alors que le monde accélère sa course folle au progrès. Alexandre suscite l'incompréhension des gens de sa génération pour qui l'an 2000 est porteur des rêves les plus fous.

Il est vrai que lorsque j'étais enfant, nous imaginions des voitures volantes, des immeubles flirtant avec les nuages, en tout cas nous imaginions la ville du futur mais jamais les campagnes de demain... Et l'homme a bel et bien rompu ou amenui son lien direct avec la nature.

La marche du temps observée depuis un beau domaine niché au coeur d'une nature luxuriante cristallise la transformation de nos campagnes dont nous avons tous été témoins,  conforte ainsi la lente évolution de notre conscience collective.

 

Nature Humaine, Serge Joncour, Flammarion 2020
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